L’harmonie après le chaos
- 21 janvier 2025
- Inspired
Le métier d’artiste, était-ce une évidence ?
J’ai grandi parmi des tableaux, de tous types. Chez mes parents, il y en avait sur toute la surface des murs de la maison. J’ai passé beaucoup de temps à les scruter, à les analyser. Dernière de la fratrie, je n’ai pas été freinée dans mes ambitions artistiques. J’ai toutefois obtenu une licence en droit avant d’entamer des études artistiques. Je n’ai ensuite jamais cessé de peindre. Cela n’a pas toujours été facile, mais j’ai en moi cette force créatrice qui m’a toujours encouragée à poursuivre dans cette voie. Je mène aussi une pratique musicale en parallèle avec la peinture. Elle me permet d’évacuer une forme narrative incompatible avec ma pratique picturale. Ces narrations trouvent ainsi leur place dans la musique. Un album sortira d’ailleurs début 2025.
Les expositions s’enchaînent. Est-ce le signe d’une notoriété croissante ?
J’avoue que mon planning devient bien chargé. Je collabore avec des galeries qui ont une connexion réelle et sincère à ma pratique. Avec Alice van den Abeele et Kristof De Clercq, et leurs galeries éponymes, ce fut avant tout et surtout une question de liens humains. Tout comme avec Almine Rech Gallery qui m’a offert de belles opportunités telles qu’une exposition en l’honneur du 50e anniversaire de la mort de Picasso à Londres fin 2023 et une exposition en solo à l’automne dernier à Paris.
Votre processus créatif a-t-il évolué au fil du temps ?
Ce n’est pas tant ma technique mais plutôt mon regard qui a évolué. Mon propre cheminement a inévitablement influencé ma manière de percevoir les œuvres d’autres artistes. Il faut souvent de la maturité pour regarder, comprendre et apprécier le travail d’autrui. Aussi, je prends aujourd’hui davantage le temps d’observer avant d’agir. Mon geste reste, quant à lui, intuitif, ample, immédiat. Mais il requiert une certaine précision en amont. C’est pourquoi je commence généralement une toile en traçant mon dessin au fusain ou avec des bandes de scotch. Arrivent ensuite la couleur et la peinture qui, souvent, contrarient et bouleversent le dessin premier. Pour apporter de la vibration, de la tension, il faut à la fois de la maîtrise et de l’impulsivité dans le geste.
On ressent cette tension comme indispensable. En quoi vous intéresse-t-elle ?
Il faut parfois se faire violence et contrarier le dessin. Sinon, on obtient un résultat lisse et lassant. Compliquer les choses permet d’accéder à un équilibre plus riche. Cette tension peut provenir tantôt du dessin – telle une ligne droite qui vient perturber une courbe – tantôt du choix des couleurs. En effet, la densité chromatique de certaines couleurs en regard de tons plus terreux génère des vibrations que je trouve fascinantes. Cela crée une forme d’harmonie après le chaos. Quand je parviens à ce juste équilibre, je suis alors satisfaite. J’ai l’impression d’avoir résolu un petit quelque chose dans un monde si complexe. Créer, c’est résoudre en quelque sorte.
Certains sujets vous inspirent-ils plus particulièrement ? Y a-t-il des thèmes récurrents dans votre œuvre ?
Depuis quelques années, je me suis libérée de la contrainte du sujet. Je peins l’espace du visage, car tout peut le traverser, que ce soit une lune, une main, une fleur… Et ce, sans altérer la cohérence du tableau. J’aime assembler, composer, créer de l’unicité à partir de plusieurs éléments qui ont leur existence à part entière et qui n’ont a priori rien à voir les uns avec les autres, mais qui finissent par créer un nouvel ensemble cohérent. Placé au milieu d’un visage, un voilier peut en constituer le nez et la bouche.
Peut-être y a-t-il des éléments figuratifs récurrents dans mes tableaux, comme un éventail, un nuage ou un oiseau. Mais ce sont avant tout des moyens d’accéder à un espace dans le tableau. Aussi, il n’est pas rare qu’un renouvellement survienne au cours du processus de travail. C’est ainsi qu’est apparue récemment une flamme de bougie. Mais je ne veux pas m’enfermer dans une routine. Au contraire, je veux continuer à explorer les formes, les couleurs, les matières… J’adore le vert, il contient une richesse de nuances incroyable, allant du jaune au gris. Pour l’instant, j’expérimente le fuchsia. Il permet un champ de possibilités nouvelles en termes de tensions et d’émotions. Les formes figuratives, elles aussi, me passionnent en raison de leur interchangeabilité.
Justement, pourquoi cette ambivalence entre figuration et abstraction ?
L’abstraction m’offre une dimension plus puissante que la narration figurative. Face à une nature morte par exemple, je regarde l’abstraction des formes, des couleurs et des matières, et pas les objets en tant que tels. C’est pourquoi je peins souvent des éléments qui, à la base, sont bien reconnaissables tels un éventail ou un yoyo, mais dont la forme peut laisser place à une tout autre interprétation. Par exemple, une lune peut, par sa forme ronde, être également vue comme une pupille, un poisson comme un œil ou encore une main comme une aile d’oiseau.
Mon travail s’inscrit dans une quête de beauté. Mais ma démarche vise aussi à m’éveiller moi-même et, si j’ai de la chance, à éveiller l’imagination du public de sorte qu’il s’approprie le tableau comme il l’entend. Ce qui m’étonne et me comble, c’est le cheminement de mes œuvres dans l’esprit des spectateurs. On peut ainsi très bien passer du « je déteste » dans un premier temps à « j’adore, j’achète ! » quelques minutes après. C’est du vécu (rires). Pour moi, cela veut dire que mon travail n’est pas cantonné à un rôle décoratif, il s’y passe autre chose.
Le résultat final relève de la surprise, pour vous aussi ?
Oui, complètement. Je ne commence jamais à peindre avec une idée arrêtée. Ce n’est jamais une démarche intellectualisée où tout est calculé à l’avance. Le résultat final me surprend moi-même… Et je dirais même qu’il doit me surprendre ! Je ne me suis pas dit un jour « tiens, je vais faire un visage avec un voilier ». Et quand bien même, le résultat n’aurait pas été le même. Au contraire, ma pensée évolue en parallèle avec le tableau qui prend forme peu à peu. Il s’agit d’un échange où s’entremêlent intuition et analyse. Et ce, jusqu’au moment où la surprise est suffisamment grande et immuable dans le temps, sans ce petit « mais » qui me trotte en tête et me dit que mon tableau n’est pas complètement abouti.
Votre style est singulier. Mais quels artistes ont fait le plus écho en vous ?
L’art moderne a ouvert toutes les portes. J’ai beaucoup regardé Picasso pour sa manière d’aborder les sujets (le corps, la nature morte,le paysage…) comme un espace à inventer. Les cut-outs de Matisse m’ont ouvert la piste de l’abstraction. Certains tableaux de Georges Braque m’ont obsédée par leur présence et leur densité chromatique. Une forme de poésie existentielle surpasse les sujets de ses tableaux au point d’en constituer le véritable sens. Les artistes qu’on appelle « dégénérés » ont poussé très loin l’exploration du médium. Ils ont œuvré comme des chercheurs de laboratoires. J’affectionne le courant expressionniste allemand « Die Brücke », avec notamment Ernst Ludwig Kirchner, reconnaissable à l’acidité de ses couleurs et la fougue de son geste. Bien sûr, il y a aussi le Belge Jean Brusselmans que j’admire pour son intelligence créatrice à traduire la réalité de la nature en espace de la peinture. J’ai un réel intérêt pour les artistes belges depuis très longtemps. Je regardais déjà Walter Swennen et Luc Tuymans alors que j’étais encore étudiante aux Beaux-Arts de Marseille ! Mais la Belgique a aussi d’autres atouts. C’est un pays accueillant et chaleureux. Il n’y a pas de cloisonnement ni de hiérarchie entre les artistes selon leur notoriété. Il y fait bon vivre et… peindre.
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