La sagesse de tout l’univers se trouve dans une tasse de thé
- 21 janvier 2025
- Inspired
Vous êtes agrégée en philosophie. Y a-t-il un lien avec le monde du thé ?
Un proverbe chinois dit : « La sagesse de tout l’univers se trouve dans une tasse de thé. » Or, le philosophe, c’est l’ami de la sagesse. Ce sont les moines bouddhistes qui ont propagé le thé, cette boisson qui a l’avantage de stimuler sans exciter.
Toutes les couleurs de thé – blanc, jaune, vert, bleu-vert, noir et sombre – viennent de l’infusion d’une plante, le Camelia sinensis (à ne pas confondre avec son cousin de nos jardins et qu’on ne consomme pas, le Camelia japonica). Elle contient des molécules particulières, dont la théine (c’est-à-dire la caféine), mais aussi la L-théanine, un acide aminé qui va apaiser et contrecarrer les effets de la caféine. Et ça, c’est formidable quand on est moine et qu’on doit passer des heures à méditer sans s’endormir !
Sommelière de thé est votre métier. Est-ce similaire au vin ?
Sommelier, au départ, c’était le responsable des mets et boissons du roi ou du seigneur quand il se déplaçait. On pense immédiatement au vin parce que c’est dans notre culture, mais il existe aussi des sommeliers en eaux, par exemple. Le sommelier en thés partage sa connaissance du thé, vous apprend les secrets de terroirs, et vous guide pour le préparer et l’accorder afin d’en retirer le meilleur.
Un de mes chevaux de bataille est de parvenir à ce qu'on propose, dans nos restaurants, une vraie expérience gustative en matière de thé. Il offre des liqueurs aux couleurs magnifiques et possède un caractère sensoriel aussi riche que le vin. On dénombre jusqu’à 600 molécules olfactives dans une feuille de thé. C’est un produit de terroir qu’il faut prendre le temps d’apprécier avec tous nos sens, dans une vaisselle appropriée. Par exemple, si vous buvez votre thé dans un verre à vin, l’expérience sera toute autre. À l’inverse, imaginez-vous du vin dans un mug ou une tasse en porcelaine…
C’est aussi l’art d’accorder ce que l’on boit avec ce que l’on mange ?
Tout à fait. Par exemple, lors d’un BBQ ou d'un brunch avec du saumon fumé, un thé comme le Lapsang Souchong est délicieux. Les thés japonais, qui ont des notes végétales et iodées, s’accordent quant à eux très bien avec les poissons. Pour les fondues et raclettes, vous pouvez parfaitement remplacer le vin blanc par du Genmaicha, un thé vert japonais avec des grains de riz torréfiés qui aidera à la digestion. Enfin, avec les desserts, et le chocolat en particulier, vous pouvez créer une discussion vraiment intéressante en bouche. Sans oublier les fromages…
Où avez-vous appris tout cela ?
D’abord avec un premier diplôme en sommellerie du thé et expertise sensorielle à Darjeeling, un endroit « béni des dieux » dans l’Himalaya où les Anglais adoraient se réfugier pour fuir la chaleur de Delhi. Le thé y est façonné par un terroir d’exception : le sol granitique va donner du mordant, de la vivacité au thé, tandis que l’altitude et ses brumes bénéfiques termineront d’en faire un feu d’artifice de notes aromatiques. Chacune des quatre récoltes de l’année donnera un thé différent. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle « le champagne du thé »…
Ensuite, j’ai continué à me former au fil de rencontres avec des experts et de voyages en Thaïlande, au Sri Lanka, en Chine et au Japon. En parallèle, j’ai passé un deuxième diplôme de sommellerie du thé, plus vaste, avec la UK Tea Academy pour laquelle je suis désormais responsable des cours donnés en français.
Y a-t-il aussi des AOC pour le thé ?
Absolument. Les premiers exemples qui me viennent en tête sont les thés de Darjeeling, où l’on constatait plus de ventes que de thés produits… Mais je pense aussi au célèbre thé sombre Pu Erh devenu un produit emblématique de Chine. Ce qui donne au thé son profil, c’est son terroir, sa variété ou cultivar (l’équivalent du cépage pour le vin) et la maîtrise avec laquelle la feuille est travaillée.
Chez nous, on associe plutôt le thé à des mélanges odorants de feuilles et de fleurs…
Oui, ce sont des blends parfumés qui au départ sont plus parlants pour le palais occidental. Personnellement, je leur préfère les thés naturellement enfleurés, comme le thé au jasmin, au lotus ou à la rose. Les personnes voulant aller plus loin ont très vite envie d’entrer dans l’univers du thé nature, c’est le parcours classique.
Mais comment être sûr de la qualité du thé qu’on achète ?
Il faut aller dans une maison de thé. C’est comme pour acheter du fromage ou un bon vin : vous allez chez quelqu’un dont c’est le métier. Il va sourcer le thé, c’est-à-dire aller le chercher sur place ou disposer d’un réseau de contacts pour avoir un maximum de garanties sur son origine et sa qualité.
C’est avant tout une aventure humaine…
Assurément ! Quand on aime apprendre, le monde du thé est un terrain de jeu incroyable, car il inclut la botanique, la géographie, la culture, l’histoire, l’art de la céramique, le sens des rituels, comme la cérémonie du thé au Japon, etc. L’impact du thé dans l’histoire, en particulier économique et donc politique, a été colossal. Il y a eu énormément de révoltes, avec généralement les Anglais au centre : la Boston Tea Party aux États-Unis, la guerre de l’opium… C’est rocambolesque!
Et puis chaque culture se l’approprie à sa façon : à l’anglaise avec du lait, avec des épices et du lait en Inde, avec de la menthe et beaucoup de sucre au Maroc… Mais il ne faut pas perdre de vue l’essentiel : avoir du plaisir en bouche.
Le thé, est-il sujet aux modes ?
Oui, elles sont souvent liées à l’aspect santé : il y a eu la mode du thé vert et ses antioxydants. Actuellement, on parle beaucoup du thé blanc, qui va vous aider à éliminer, et du matcha. Ce dernier n’est pas une infusion, mais une soupe de thé vert en poudre qui permet d’absorber 100 % des molécules. Pour l’obtenir, on couvre les théiers, les obligeant ainsi à puiser plus de nutriments dans le sol. Ils vont développer une feuille plus foncée et surtout une saveur très recherchée des Japonais qui subsiste longtemps : l’umami. C’est la cinquième saveur avec le sucré, le salé, l’acide et l’amer. Vous la retrouvez dans la tomate, le jambon de parme, la sauce soja, le parmesan…
Comment bien préparer son thé ?
Il y a six règles. La première, c’est un thé de qualité, et la deuxième, sa conservation à l’abri de l’air, de la lumière et des grosses variations de température.
Ensuite, une bonne eau. L’eau du robinet contient trop de calcaire et de chlore. Pour avoir un bel équilibre, il faut une eau avec un pH neutre et un faible taux en minéraux. Le meilleur rapport qualité-prix à mes yeux pour avoir une eau tea friendly reste une bonne carafe filtrante.
Pour le dosage, je conseille 12 à 13 grammes par litre quand on boit à l’occidentale. Moins doser et infuser plus longtemps est une erreur qui apportera de l’amertume et diminuera les notes florales et fruitées.
Attention aussi à respecter la température de l’eau et le temps d’infusion conseillés en fonction du type de thé. De manière générale, en faisant bouillir l’eau, on change sa composition et donc le profil du thé. Plus l’eau est chaude et plus on infuse longtemps son thé, plus les deux composés amers du thé, la caféine et les polyphénols, passeront dans l’eau.
L’objectif de ces 6 règles est d’avoir un thé équilibré en bouche avec un maximum de notes aromatiques. Après, chacun fait selon ses goûts.
Un thé nature à conseiller, plus accessible pour commencer ?
Les oolongs, probablement. Ce sont des thés aromatiques et gourmands, faciles à infuser, avec peu de caféine. Il y en a pour tous les goûts.
Quand on découvre la richesse de l’univers du thé, le choix d’un thé va varier selon notre humeur, la saison, le moment de la journée ou nos envies pour un plaisir gustatif et sensoriel qui rassasie le corps et l’esprit !
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