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Pas de répit pour les entreprises familiales

  • 26 août 2024
  • Actualités Delen

La plateforme de contenu pour administrateurs « De Bestuurder » a eu l’occasion d’organiser une table ronde avec les représentants de la prochaine génération de quatre entreprises familiales. Alexandre et Anne-Sophie Delen, le duo frère-sœur qui fait lui-même partie de la troisième génération issue de l’illustre lignée de banquiers, les ont reçus fin juin dans les bureaux de Delen Private Bank à Anvers. Le thème de cette table ronde, « Quel regard porte la nouvelle génération sur la bonne gouvernance d’une entreprise familiale ? », a donné lieu à des échanges ouverts et fructueux, et il n’aura pas fallu poser plus de sept questions aux participants pour avoir une discussion des plus enrichissantes.

Qui retrouve-t-on autour de la table ronde ?

Grand passionné d’efficience et de technologie, Alexandre Delen s’intéresse aux ordinateurs et à l’informatique dès son plus jeune âge. En 2002, il rejoint Delen Private Bank et siège depuis 20214 au Comité de direction et au Conseil d’administration de la banque, où il est responsable de l’informatique, des opérations et de la logistique. Il devient administrateur chez SIPEF en 2022 et Banque Van Breda en 2023, la banque sœur de Delen Private Bank.

Anne-Sophie Delen est responsable du marketing et de la communication de Delen Private Bank. Mais elle se charge surtout, avec passion, de la décoration intérieure et de l’aménagement artistique des bureaux. En tant que membre de la famille, elle participe également aux réunions de la direction.

Valentine Deprez, facilitatrice et coach, accompagne les familles fortunées et d’entrepreneurs dans la consolidation de leur pouvoir collectif et la gestion des facteurs émotionnels. Passionnée par les entreprises familiales et les dynamiques humaines, elle a approfondi ses connaissances notamment à l’Institut Tavistock (Executive Coaching), au Kets de Vries Institute (Family Business Advisor) et à la Vlerick Business School. Elle est administratrice non exécutive de l’entreprise cotée en bourse Greenyard.

Laura Lannoo commence sa carrière d’avocate spécialisée en droit des affaires et fusion-acquisition auprès d’Allen & Overy. Après avoir obtenu un MBA de l’IESE Business School, elle rejoint le Boston Consulting Group. Elle travaille ensuite pendant quelques années pour l’entreprise familiale Uitgeverij Lannoo, où elle occupe notamment les fonctions d’éditeur et de gestionnaire de patrimoine. Aujourd’hui, Laura conseille les entreprises (familiales) en matière de gouvernance, stratégie et durabilité, entre autres via Roots Advocaten et l’Instituut voor het Familiebedrijf. Elle est également active dans l'investissement à impact social et la philanthropie.

Michiel Odeurs est juriste de formation, licencié en notariat et titulaire d'un master en durabilité. Il est CEO de KwadrO, président du Conseil d’administration de Group A et administrateur chez Virtus/Vitrea. En tant qu’actionnaire de Group A avec deux autres branches familiales, il a assuré la fonction de CEO pendant 14 ans chez KwadrO. Il a récemment été nommé président du Conseil d’administration par sa famille, mais il est conscient qu’il ne pourra cumuler que temporairement le rôle de CEO et de président.

Nicolas Vyncke est ingénieur civil et travaille depuis 1997 pour l’entreprise familiale Ingenium, dont il devient le CEO en 2003. À la suite d’une reprise familiale en 2005, il en devient l’unique actionnaire. En 2023, il est nommé président exécutif et un nouveau CEO est engagé. Il est également administrateur d’un réseau européen de sociétés d’ingénierie et administrateur d’une ASBL qui emploie des personnes en situation de handicap.

Parmi cet « actionnariat familial », nous retrouvons une combinaison intéressante de rôles plus ou moins importants dans la gouvernance : entrepreneur, manager, administrateur, successeur, investisseur, président, actionnaire, membre de la famille, expert, consultant… Bien entendu, chaque entreprise se distingue également par son secteur d’activité, sa maturité et sa taille. Le panel a décidé à l’avance de s’attarder plus longuement sur les dynamiques (et défis) propres aux entreprises familiales, ainsi que sur le rôle et l’influence des administrateurs externes.

Alexandre Delen a d’abord dressé un portrait captivant de Delen Private Bank et de la Banque Van Breda. Il a souligné à quel point la direction de leur institution bancaire est strictement réglementée et contrôlée par la Banque nationale. La marge de personnalisation en termes de gouvernance s’en voit donc fortement réduite. La famille actionnaire prend toujours une décision unanime avant de soumettre une proposition concrète au Conseil d’administration. « Nous ne mettons jamais sur la table plusieurs propositions susceptibles de provoquer des discussions interminables. Grâce à notre rigueur dans la préparation et la concertation, le Conseil d’administration, à composition très large, parvient à maintenir une efficacité optimale tout en challengeant activement la politique menée. »

Les conflits (intergénérationnels) au sein d’une famille font parfois la une des journaux. Comment les gérer au mieux ?

Il faut évidemment tout mettre en œuvre pour éviter les conflits, par exemple à l’aide d’accords clairs, en abordant les sujets ouvertement ou en faisant appel à des consultants extérieurs. Il vaut mieux recourir à un facilitateur externe qui apportera un regard extérieur, surtout lorsque des décisions délicates doivent être prises.

Valentine Deprez ajoute : « La gouvernance au sein d’une entreprise familiale se déroule à deux niveaux : la famille et l’entreprise. Je l’ai tout de suite ressenti lorsque j’ai rejoint le Conseil d’administration de Greenyard en tant que membre de la famille. J’ai été confrontée à deux questions passionnantes : quelles nouvelles compétences, quelle plus-value puis-je apporter, en tant que jeune femme, à la direction de cette entreprise cotée en bourse ? Et quel sera mon nouveau rôle par rapport à ma famille ? » Car, bien que techniquement préparée, cette situation et ce rôle étaient nouveaux pour elle. Grâce à l’aide de consultants externes et au soutien d’un réseau de personnes confrontées aux mêmes défis, elle a pu aborder ces questions de manière réfléchie, évitant ainsi de nombreux conflits potentiels.

ASD-1024x673 (1) Anne-Sophie Delen

Dans le cas d’une succession, il faut définir à l’avance les règles du jeu afin que tout le monde sache à quoi s’attendre. Une évidence selon notre panel. Tout comme la nécessité d’avoir des accords formels clairs et des structures distinctes pour la gouvernance familiale. « Mais avec suffisamment de flexibilité pour laisser de la place au dialogue si les choses ne nous semblent plus ‘justes’ », précise Alexandre Delen.

Laura Lannoo ajoute : « Freud disait que l'amour et le travail sont les pierres angulaires de notre humanité. Utiliser ses compétences de manière productive et entretenir des relations humaines positives, c’est donc essentiel pour le bien-être de chacun. Comme on retrouve ces deux aspects dans une entreprise familiale, les enjeux sont élevés. La confiance et la capacité à accepter des opinions divergentes sont encore plus importantes. Par ailleurs, dans un climat de confiance mutuelle et à l’aide de discussions constructives, il est possible qu’un conflit débouche sur d'excellentes solutions. »

Comment aborder ou préparer au mieux une succession ?

Tout d'abord, Laura Lannoo rappelle les trois principaux points d’attention dans toute succession : « Il faut avoir les bonnes compétences, un comportement en ligne avec les valeurs et la culture de l'entreprise, et enfin une ambition éclairée. »

LaLa-1024x677 Laura Lannoo

Selon Anne-Sophie Delen, le rêve de toute famille est de conserver les valeurs et l'ADN familial de l'entreprise au fil des générations. Qu’est-ce qui nous motive ? Quels sont nos valeurs, nos fondements et notre raison d'être sociétale ? Ces questions essentielles sont matière à réflexion.

Ce sont là les attentes des parents, mais qu’en est-il de la volonté des personnes concernées ? Alexandre Delen l'exprime ainsi : « Mon père, Jacques, me répétait souvent que j’étais libre de faire ce que je voulais, tant que je travaillais. Que ce soit dans le cadre familial ou en dehors, le choix nous appartient au final, en tenant compte bien sûr de nos compétences. »

La succession ne concerne pas uniquement la gestion de l'entreprise familiale. Elle doit également être assurée au sein du conseil d'administration et de l’actionnariat. En fin de compte, c'est tout un écosystème qui doit s'adapter à la nouvelle situation.

La collaboration au sein d’une famille se joue toujours à deux niveaux, ce qui implique une composante émotionnelle importante. En outre, la gouvernance et le leadership sont deux processus particulièrement émotionnels. Pour une gouvernance réussie à la fois sur le plan familial et entrepreneurial, il est crucial de bien gérer ces émotions, en les mettant sur la table sans les contenir. Ce n'est jamais simple, surtout lorsque les perceptions sont différentes au sein de la famille et de l’entreprise familiale.

La succession est également un processus important pour le cédant. Il arrive fréquemment que ce dernier devienne président du conseil d'administration. C’est un rôle complètement nouveau qui exige une approche et des compétences très différentes. Cette transition représente un défi pour le cédant et exige de la discipline.

Valentine Deprez conclut : « Un administrateur familial doit comprendre qu'il ou elle n'est pas nécessairement choisi(e) pour ses connaissances approfondies du secteur, son expertise ou son expérience. Il est là avant tout pour veiller à ce que la direction ne perde pas de vue la vision et les valeurs familiales qui forment l’ADN de l’entreprise. Il est en quelque sorte le gardien de l'identité de l'entreprise face aux administrateurs externes. C'est bien plus important qu'on ne pourrait le croire à première vue. »

Quels sont les défis uniques lorsqu’on travaille dans ou pour une entreprise familiale ?

« Nous pourrions peut-être parler ici du conflit potentiel entre la tradition et l’innovation », déclare Nicolas Vyncke. « Il est important de trouver un équilibre entre tradition et modernisation. » En effet, les traditions peuvent être encombrantes et coûteuses. Une approche traditionnelle peut même être inefficace si on ne fait pas attention. En ne mettant pas d’alternatives objectivement meilleures à la disposition de l’entreprise, celle-ci risque d’être privée de ressources et de moyens.

adelen-1024x680 Alexandre Delen

La jeune génération peut y être sensible. Une approche traditionnelle peut évidemment être positive, mais elle ne peut pas être trop rigide ou trop peu innovante. Plus l’entreprise grandit et se stabilise, plus la jeune génération doit poursuivre sur la voie de la flexibilité, l’innovation ou la modernisation responsable. Une évolution doit toujours être possible, sans pour autant que cela ne tourne en révolution.

Il est important de privilégier un état d’esprit enclin au développement plutôt que figé. Une croissance entrepreneuriale qui donne une chance aux jeunes suppose aussi que l’ancienne génération confronte parfois ses attentes ou ses rêves aux propositions et aux idées de la jeune génération. Cela peut même se faire par le biais d’une entreprise distincte, ce qui laisse la liberté aux jeunes de faire des erreurs et d’en tirer des leçons.

De plus, famille et entreprise induisent des processus parallèles qu’il convient de bien dissocier. Les personnes impliquées sont souvent les mêmes et, par conséquent, leurs rôles respectifs doivent être clairement séparés. Pas si simple.

Quelle influence exercent les administrateurs externes au sein de votre entreprise familiale ?

Les réponses à cette question sont très nuancées. Les administrateurs externes aident les entreprises à être plus résilientes, à aller de l’avant et à identifier à temps les faiblesses, comme une structure organisationnelle inadéquate. Ils stimulent l’ambition, tout en soutenant la croissance et en activant leurs propres réseaux. Leur influence est double : ils peuvent accélérer ou freiner les initiatives, car il est parfois nécessaire de tempérer les projets de la famille.

Un administrateur externe doit également suivre les divers dossiers de près et, d’une certaine manière, rappeler la famille à l’ordre lorsqu’elle ne tient pas ses promesses ou ses engagements. Or, c’est trop peu souvent le cas.

valde-1024x683 Valentine Deprez

Mais ils restent réalistes. Michiel Odeurs : « Nos administrateurs externes ne sont nommés que pour une période deux ans. Nous sommes convaincus que l’exercice d’un mandat dépend étroitement des besoins concrets ou du parcours de l’entreprise. »

Étant donné que tout évolue très vite et que le conseil d’administration d’une entreprise doit continuellement créer de la plus-value, il convient de le renouveler régulièrement par le biais de mandats successifs. En bref, stipulez dès le début qu’un mandat externe est limité dans le temps et que la composition du Conseil sera constamment réévaluée.

Dans quelle mesure une entreprise familiale doit-elle être « ouverte » vis-à-vis de ses administrateurs externes ?

Le conseil d’administration d’une entreprise familiale n’a pas nécessairement besoin d’être expert en familiy business advisory. Il peut toutefois servir de caisse de résonance. Mais pour la gouvernance familiale, il existe d’autres experts.

Au niveau de l’entreprise, une transparence totale est indispensable. En revanche, au niveau familial, c’est à vous de choisir, mais ce n’est pas de la responsabilité de l’administrateur. Toutefois, un administrateur compétent et discret peut également être utile en matière de gouvernance familiale. C’est un sujet délicat qui nécessite une approche au cas par cas. Les tensions familiales ne méritent-elles pas l’attention des administrateurs lorsqu’elles peuvent influencer la gestion de l’entreprise ?

En tant que CEO, Nicolas Vyncke entretient de bonnes relations avec ses présidents. Si vous avez confiance dans votre président et que ses compétences sont complémentaires aux vôtres, son aide peut être précieuse. Car porter la responsabilité finale est parfois très pénible.

nivy-1024x680 Nicolas Vyncke

Avez-vous des exemples concrets d’administrateurs qui ont apporté une contribution cruciale à l’entreprise ?

Michiel Odeurs confirme que les administrateurs externes de Group A ont joué un rôle déterminant dans la professionnalisation, notamment sur le plan des rapports financiers, de la tarification, de l’informatique et de la structure organisationnelle.

Les administrateurs externes peuvent initier des changements ou apporter leur aide. Nicolas Vyncke se souvient d’un administrateur externe qui demandait régulièrement à ses parents de donner une chance à la prochaine génération, ce qu’ils ne cessaient de reporter à plus tard. « Le courage et l’ambition des personnes extérieures nous ont aidés à mettre la barre plus haut. Mes parents avaient tendance à se satisfaire du statu quo. Mais nous avons été mis au défi de réfléchir à une stratégie de croissance à plus long terme. »

mode-1024x678 Michiel Odeurs

En conclusion, quels enseignements tirez-vous de la discussion d’aujourd’hui ?

Nicolas Vyncke : « Je suis d’autant plus convaincu qu’il nous reste encore beaucoup à faire en interne pour professionnaliser notre organe de direction et préparer l’arrivée de la prochaine génération. Il est sans doute vrai que nous avons aussi besoin d’une charte… »

Pour Laura Lannoo, cette discussion a confirmé l’importance de bien séparer les différents niveaux au sein d’une entreprise familiale. Il est impératif de suivre de près les interactions entre ces niveaux et leur composition distincte : conseil de famille, conseil d'administration, assemblée des actionnaires et management.

Pour Anne-Sophie Delen, il faut oser prendre le temps et l’espace nécessaires pour se développer et innover. « C’est mon plus grand défi. Je suis très impliquée, mais je devrais trouver le temps de me poser des questions fondamentales : que faisons-nous ? Quelles sont nos motivations ? Pourquoi agissons-nous de la sorte et pas autrement ? »

Michel Odeurs insiste sur l’importance de renforcer l’auto-évaluation au sein de la famille et de poursuivre les efforts qui visent à optimiser l’entente entre la famille et le conseil d’administration. Quelle influence la famille doit-elle exercer sur la gestion de l’entreprise ? Comment se prépare-t-elle aux réunions du conseil d'administration ?

Valentine Deprez se sent inspirée, tout comme Laura Lannoo, et souhaite s’investir dans un projet qui lui permettra de mieux définir et de clarifier ses propres valeurs et la culture d’entreprise familiale, ainsi que d’élaborer une vision précise de sa responsabilité sociétale.

Alexandre Delen estime qu'il est important d’entretenir des relations avec d'autres entreprises familiales « pour continuer à apprendre les uns des autres ». Le partage de connaissances et d’idées avec d'autres familles est enrichissant et permet d’être plus proactif face à de nouvelles circonstances et de nouveaux projets.

kunst-1024x675 (1) Après cet échange fructueux, les participants ont eu l'occasion d’admirer quelques magnifiques œuvres d'art. La réunion s'est terminée par un délicieux déjeuner, en toute intimité bien entendu !

Cette interview a été réalisée en collaboration avec De Bestuurder. Les droits de propriété et d’auteur de cet article appartiennent à De Bestuurder. Vous pouvez consulter la version originale via https://debestuurder.be/in-een-familiebedrijf-ben-je-nooit-klaar/.

 

Auteur : Philip Verhaeghe
Photographe : Robert Smits

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