Sous le marteau des enchères
- 21 janvier 2025
- Inspired
Dans le monde intrigant des ventes aux enchères d’œuvres d’art, les récits personnels sont souvent aussi passionnants que les objets qui passent sous le marteau, comme en témoigne l’histoire de deux grandes salles de ventes : Horta et Bernaerts.
L'expertise comme atout
Même si, enfant, Peter Bernaerts jouait parmi les œuvres d’art de la salle de ventes de ses parents, il rêve de devenir journaliste et se lance dans des études de philologie romane. Mais une fois son diplôme en poche, sa passion pour l’esthétisme le rattrape. Il envisage alors une carrière d’antiquaire dans le sud d’Anvers. Mais avant même qu’il ne puisse mener son projet à bien, ses parents décident de déménager leur maison de ventes aux enchères de Malines à Anvers, précisément dans le quartier où il comptait s’installer. Un signe du destin qui pousse Peter à rejoindre l’entreprise familiale, un pas que son frère Christophe avait déjà franchi. Ensemble, ils reprennent le flambeau et transforment la maison de ventes familiale en une entreprise de premier plan, s’appuyant sur un demi-siècle d’histoire. Le moment idéal pour se pencher sur le chemin parcouru et l’histoire qui est encore à écrire.
Quel est le plus grand défi que vos parents aient eu à relever ?
Peter : Alors que la maison de ventes aux enchères était quasi en faillite à Malines, mes parents ont quand même décidé d’acheter un grand bâtiment à Anvers, dans un quartier qui, à l’époque, était tout sauf tendance.
En tant que membre de la deuxième génération, quelle est la principale valeur que vous ont transmise vos parents ?
Peter : L’honnêteté. Nous préférons attendre que l’autre partie soit vraiment décidée à traiter avec nous. La vente agressive, ce n’est pas notre truc. Je vois davantage mon travail comme « Le Jeu de l’amour et du hasard ».
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le monde de l’art ?
Peter : La demande de chefs-d’œuvre ne cesse de croître, ils intéressent de plus en plus de monde. Nous vivons une période extrêmement créative. Mais l’inconvénient, c’est que certaines œuvres sont trop vite considérées comme de l’art et commercialisées en tant que telles. L’expertise acquise au cours des 50 dernières années est donc notre plus grand atout et nous permet d’identifier les véritables œuvres d’art. Le temps est notre meilleur allié.
Quelle est la vente aux enchères la plus mémorable depuis que vous avez rejoint l’entreprise familiale ?
Peter : Sans aucun doute, la vente d’une peinture de Magritte en 2001. C’était la seule œuvre de valeur de la collection d’art de la Sabena que le curateur, Christian Van Buggenhout, a récupérée après la faillite. Une semaine avant l’adjudication, toutes les parties intéressées devaient présenter leur projet. Christie’s et Sotheby’s avaient envoyé leur représentant. Je me suis dit à l’époque : « Nous ne remporterons jamais cette vente. » Pourtant, à ma grande surprise, Christian Van Buggenhout nous a choisis ! Mon père avait réussi la mission de sa vie, à savoir tenir l’art belge à l’écart des maisons de vente étrangères. Lors de la vente aux enchères à l’aéroport de Zaventem, nous avons finalement adjugé le tableau à 3,8 millions d’euros, alors que la valeur était estimée à 1 million. Aujourd’hui, il reste le plus cher des tableaux vendus aux enchères en Belgique.
Le goût des belles choses
Il y a exactement 20 ans, le Comte Dominique de Villegas réalise un management buy-out de l’Hôtel de Ventes Horta où il avait commencé comme jeune employé 18 ans plus tôt. Très vite, il est rejoint par son épouse Fabienne et, plus tard, par son fils Gatien et sa fille Isaline qui se consacrent aujourd’hui à la vente aux enchères de vins et de bijoux précieux. Le terme d’entreprise familiale ne semble toutefois pas approprié car, pour la famille, il s’agit plus d’un art de vivre que d’un travail.
Commençons par le commencement, à savoir la création de l’Hôtel de Ventes en 1982. D’où vient le nom Horta ?
Dominique : À l’origine, la maison de ventes aux enchères se trouvait à côté du Musée Horta. Le fondateur a eu la brillante idée d’utiliser ce nom, ce qui nous a plutôt bien servi. En 1994, un billet de banque de 2 000 francs belges a été créé à l’effigie de Victor Horta, ce qui a même permis au nom Horta de jouir d’une renommée internationale.
Dix ans plus tard, vous décidez de racheter l’Hôtel de Ventes. Était-ce une décision familiale ?
Dominique : Bien sûr ! L’investissement était conséquent, mais mon épouse me soutenait totalement dans ma décision. Nous avons tous les deux un sens développé pour l’art et les belles choses de par notre éducation. Notre maison regorge d’objets de famille.
Fabienne : Mais nous évoluons avec notre temps. Nous regardons l’avenir plutôt que le passé. Nous achetons et revendons.
Dominique : Seul le tableau dans mon bureau a une valeur sentimentale.
Fabienne : C’est un portrait de la seconde épouse de Rubens, une nièce de Plantin-Moretus, parente du côté de sa mère.
Dominique : Il s’agit d’une vieille copie dont l’original se trouve au Rijksmuseum, mais ma mère en était très fière.
L’amour pour l’art coule dans vos veines en quelque sorte ?
Dominique : C’est surtout une question d’éducation et de sens de l’esthétique. Nous voyons directement si une œuvre est intéressante. Bien entendu, nous la faisons ensuite examiner par un expert, mais notre première impression nous trompe rarement.
Isaline : Mon frère et moi avons développé notre goût pour l’art à force de traîner ici quand nous étions enfants. Nous n’avons pas l’impression de travailler, c’est un mode de vie pour nous. Et mon fils de 2 ans commence aussi à montrer un certain intérêt pour les belles peintures. La relève est assurée.
Aujourd’hui, vous pouvez revenir sur 20 années de ventes aux enchères. Quel a été le moment fort de votre carrière ?
Dominique : Chaque vente aux enchères est un moment fort. C’est un jeu psychologique où vous devez à la fois ignorer et considérer les bonnes personnes au bon moment. Et le coup de marteau, c’est chaque fois un instant magique.