« L’Europe peut vraiment gagner en puissance »
- 16 mai 2023
- Digital
Dans quelle mesure la guerre entre la Russie et l’Ukraine bouleverse-t-elle le monde ?
Jonathan Holslag : Pour le (reste du) monde, la guerre en Ukraine est un petit conflit à l’échelle régionale, mais il affaiblit durablement l’Europe. Et ce, à deux niveaux. D’un point de vue stratégique et militaire, l’Amérique reste le grand gagnant et il devient de plus en plus évident que l’Europe ne s’en sortirait pas sans l’aide américaine. Sur le plan économique, le conflit impacte majoritairement l’Europe. La Chine fait une bonne affaire, car elle achète l’énergie russe à un prix 60 % inférieur au prix du marché. Les États-Unis, qui produisent leur propre énergie, subissent peu (voire pas) les conséquences du conflit. L’ajustement des marchés de l’énergie constitue un frein persistant pour nos entreprises en Europe majoritairement. Une pression qui, soit dit en passant, ne disparaîtra pas avec la fin du conflit. Les États-Unis offrent leur soutien sur le plan militaire, mais l’Europe s’est engagée à participer à la reconstruction après la guerre.
La Russie reste certes une puissance très importante et nous devrons faire en sorte de maintenir le dialogue. Néanmoins, les tensions entre les États-Unis et la Chine constituent un challenge bien plus important pour le monde entier.
L’Europe pourra-t-elle faire machine arrière et gagner en puissance ? Ou est-ce trop tard ?
Jonathan Holslag : C’est encore possible. Nous avons tout pour monter en puissance. Il ne nous manque que les matières premières. Cette image d’une Europe faible est avant tout une construction de l’esprit. Nous devons avoir la volonté d’être forts ensemble. Le pouvoir de l’Europe réside dans la force de ses États membres, mais ceux-ci ne collaborent pas entre eux.
Il n’est certainement pas trop tard pour corriger le tir et devenir plus forts à terme. Mais cela a bien sûr un prix. Renforcer notre position économique est crucial. Produire davantage en Europe rendra les produits plus chers à court terme, car cela nécessitera des investissements pour démarrer la production ici. Mais à long terme, cela sera profitable. Pour cela, la réglementation a également son importance. Il faut veiller à ce que les entreprises puissent évoluer dans un contexte de concurrence loyale et transmettre cette approche. Seuls, les gouvernements ne peuvent pas tout résoudre, les citoyens doivent eux aussi soutenir les stratégies ainsi mises en place. Si les Européens se mettent à acheter massivement des produits européens, soutenant ainsi les entreprises qui renforcent l’avenir de l’Europe, vous boostez incontestablement l’économie de manière significative.
La situation actuelle de l’Europe n’est pas évidente, mais comme toujours, c’est dans les pires difficultés que résident aussi les plus belles opportunités d’amélioration. On doit oser être honnête, prendre conscience qu’il faut radicalement changer les choses et oser implémenter les changements nécessaires. On ne peut pas non plus sous-estimer le pouvoir et les capacités des entrepreneurs au 21e siècle. Ils peuvent être un lever considérable. Il faut écouter et discuter. Mais toujours, écouter d’abord.
Où se situe, selon vous, le problème majeur pour l’avenir ?
Jonathan Holslag : Je pense que l’Afrique représente le plus grand défi en termes de sécurité pour l’Europe dans les années à venir. D’ici la fin de ce siècle, la population atteindra les 4 milliards sur le continent africain. Nous sommes actuellement en train de négliger l’Afrique. Et ce, à une vitesse fulgurante. Cela est dû entre autres au fait que nous réduisons nos relations économiques avec le continent.
Soit nous recommençons à soutenir l’Afrique en menant une politique solide - je me souviens qu’au cours de ces 15 dernières années, l’Europe a promis à maintes reprises d’élaborer un plan Marshall en faveur de l’Afrique, mais que concrètement, il n’en a rien été. Soit vous réalisez que notre influence en Afrique ne fait que de reculer, que nous n’avons plus aucun contrôle et qu’il vaut alors mieux stabiliser les pays autour de la Méditerranée. Car la crise des migrants devient ingérable pour les pays d’Afrique du Nord sur lesquels nous comptons quand même encore un peu pour absorber le flux migratoire.
On ne parviendra à contenir ces flux migratoires qu’en ramenant en Europe et dans une certaine mesure en Afrique du Nord une grande partie de l’activité économique localisée actuellement dans d’autres pays en voie de développement, en Asie. Mais cela nécessite des efforts considérables. Or pour ce faire, la coordination au niveau européen est aujourd’hui inexistante. C’est la réalité : nous nous désengageons économiquement de l’Afrique, et cela aura des conséquences majeures. L’aide au développement fait du bien, mais les pays africains sont avant tout en demande d’un partenariat solide, stratégique et équilibré.
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