Procédez à une donation directement à vos petits-enfants, sans souci
- 10 décembre 2019
- Juridique
Vous voulez apporter un soutien financier à vos petits-enfants. Vos enfants saluent votre initiative, étant donné qu'ils jouissent déjà d’une certaine stabilité financière. Vous songez à une donation classique ou à un testament en faveur de vos petits-enfants. Mais soyez attentifs. Ces techniques peuvent conduire à des inégalités. Que se passe-t-il si vos enfants n’ont pas tous le même nombre d’enfants alors que vous souhaitez faire une donation ou un legs à chacun de vos petits-enfants, à parts égales ? Vous devez également tenir compte de la réserve de vos enfants1, et du fait que vous ne pouvez transmettre au maximum que la moitié de votre masse fictive2 à vos petits-enfants. Si en leur faisant une donation ou un legs, vous dépassez la quotité disponible, vos enfants (ou un seul d’entre eux) peuvent, à votre décès, contester la donation ou le testament et exiger la réduction de l’excédent donné ou légué à vos petits-enfants.
Rapport pour autrui
Pour pallier cette incertitude et de possibles inégalités, et pour répondre à la volonté croissante des grands-parents de gratifier directement leurs petits-enfants, vous pouvez, depuis le 1er septembre 2018, effectuer un saut de génération par le biais du « rapport pour autrui3 ».
Grâce à cette technique, votre enfant s’engage à imputer fictivement sur sa part successorale la donation que vous faites à ses propres enfants (= vos petits-enfants) (et à la rapporter dans votre succession) s’il accepte ultérieurement votre succession, et ce, même si votre enfant n’a rien reçu de votre part. Vu que la donation à vos petits-enfants est considérée comme une donation en « avancement d’hoirie », vous maintenez intacte, en qualité de donateur, la quotité disponible de votre succession et vos autres enfants (non-donataires) ne sont dès lors pas pénalisés. Ils reçoivent en effet la même part successorale que votre enfant qui a, pour sa part, renoncé à la sienne. Vous limitez ainsi le risque de réduction, même lorsque l’un ou plusieurs de vos autres enfants n’ont pas d’enfant. Par ailleurs, vos petits-enfants acceptent, quant à eux, que ce qu'ils reçoivent de votre part soit considéré du point de vue juridique comme une donation effectuée par leur parent (= votre enfant) et ils devront ainsi rapporter cette donation dans la succession de leur parent. Les conséquences d’une telle donation doivent donc être évaluées à deux niveaux.
Illustration
Imaginons que vous vouliez faire une donation de 100.000 euros à votre fils Sam et de 100.000 euros à votre fille Iris. Sam n’en a pas besoin, contrairement à Iris.
- Situation avant le 1er septembre 2018 : avant la réforme du droit successoral, vous n’aviez qu’une seule possibilité : procéder aux donations par préciput et hors part (qui étaient imputées sur votre quotité disponible), tant aux enfants de Sam qu’à Iris.
- Situation depuis le 1er septembre 2018 : vous pouvez désormais faire une donation de 100.000 euros aux enfants de Sam et de 100.000 euros à Iris sans épuiser votre quotité disponible et sans rompre l’égalité entre Sam et Iris - du moins si Sam s’engage à rapporter ce que ses propres enfants ont reçu.
Cette technique vous permet également d’éviter des discussions ultérieures entre vos enfants s'ils n’ont pas le même nombre d’enfants. Imaginons que Sam ait deux enfants et Iris seulement un. Vous envisagez par exemple de procéder à une donation d’un montant de 50.000 euros à chacun de vos petits-enfants. Cette donation s’impute en principe sur votre quotité disponible, ce qui ainsi pour conséquence de la diminuer. Or, vous ne souhaitez peut-être pas que la quotité disponible de la succession soit entamée, par exemple, si vous entendez favoriser d’autres personnes (comme votre partenaire ou une bonne œuvre). En outre, la réalisation d’une telle donation a pour conséquence de briser l’égalité entre les branches : la branche de Sam reçoit en effet plus que celle d’Iris. En recourant à la technique du « rapport pour autrui », vous pouvez désormais réaliser une donation à vos trois petits-enfants sans épuiser votre quotité disponible, d’une part, et sans briser l'égalité entre les branches, d’autre part. Dans notre exemple, Sam devra rapporter 100.000 euros dans votre succession, contre 50.000 euros pour Iris. Cela signifie dès lors que lors de la répartition de votre succession, Iris recevra donc 50.000 euros en plus.
1 Depuis le 1er septembre 2018, vos enfants ont toujours droit (ensemble) à la moitié de la masse fictive de votre succession en pleine propriété.
2 Il s’agit de tous les biens laissés au moment de votre décès, diminués des dettes de la succession et majorés de toutes les donations effectuées de votre vivant et le cas échéant indexées ou revalorisées.
3 Appelé également « rapport avec saut de génération ».
Procédure et sanction
Le « rapport pour autrui » est un pacte successoral expressément autorisé par la loi et peut être réalisé dans l’acte de donation initial ou dans un pacte successoral (ponctuel) ultérieur. Il nécessite votre consentement, celui de vos petits-enfants et celui de votre enfant (qui fait l’objet d'un saut de génération) qui s’engage à rapporter dans votre succession la donation que vous avez faite à ses propres enfants. Les biens que vous donnez à vos petits-enfants sont alors traités dans la succession de votre enfant de la même manière que si vos petits-enfants avaient directement reçu ces biens de votre enfant. En d’autres termes, on considère que vos petits-enfants ont reçu la donation de leur parent (et non de vous).
Vu les conséquences importantes du rapport pour autrui, le législateur a fixé une procédure et des garanties. Le notaire joue un rôle central à cet égard, car ce pacte successoral doit être obligatoirement réalisé dans un acte notarié. Le notaire doit remettre à chaque partie le projet de pacte successoral au moins 15 jours avant la première réunion préparatoire, dans laquelle il explique la teneur et les conséquences du pacte à toutes les parties. Il doit expressément indiquer que toutes les parties peuvent choisir un conseiller ou un notaire propre. S’ensuit une période d’attente d’au moins un mois avant la signature proprement dite du pacte successoral. En conséquence, il est impossible de conclure un pacte successoral in extremis (c’est-à-dire dans les derniers jours ou semaines qui précèdent votre décès). Après signature, chaque pacte successoral doit être inscrit au Registre central des testaments.
Tout pacte successoral qui n’est pas prévu par la loi et tout pacte successoral (autorisé) qui n’a pas été établi dans les règles de l’art est frappé de nullité absolue. Vos enfants ne pourront pas l’invoquer à votre décès et chaque ayant droit (même l’administration fiscale) pourra invoquer cette nullité.
Que se passe-t-il si vous ne faites rien ?
Votre héritage peut également revenir directement à vos petits-enfants si votre enfant renonce à votre succession. Dans ce cas, vous ne devez absolument rien faire. Cette approche a toutefois quelques inconvénients :
- Vous n’avez aucune garantie que votre héritage reviendra à vos petits-enfants puisqu’il revient à votre enfant, à votre décès, de décider s’il renonce ou non à votre succession au profit de ses propres enfants (vos petits-enfants).
- L’enfant qui renonce à la succession doit renoncer à l’ensemble de sa part successorale. Une renonciation partielle n’est pas possible. Cet enfant perd dès lors tout contrôle sur sa part successorale et sur les revenus qui en découlent.
- Si vos enfants n’ont pas le même nombre d’enfants, vos petits-enfants ne recevront pas la même chose : la répartition de la part successorale à laquelle un de vos enfants renonce se fera en effet par branche familiale et non par tête.
À cet égard, un testament au profit de vos petits-enfants peut constituer une solution. Dans ce cas, il y a lieu de tenir compte de la réserve de votre (vos) enfant(s) et de limiter la part successorale de vos petits-enfants à (maximum) la moitié de la masse fictive de votre patrimoine. Si vous ne le faites pas, vos enfants (ou l’un d’entre eux) pourront demander la réduction4 du legs. Par ailleurs, le testament présente également un autre avantage. En effet, comme les petits-enfants ne sont pas des héritiers réservataires, vous avez la possibilité de prévoir dans le testament une clause de protection qui les empêche de disposer immédiatement du patrimoine qui leur est légué. Leur part successorale devra ainsi être gérée durant une période limitée (par exemple, jusqu’à l’âge de 25 ans) par leurs parents.
4 Cette demande de réduction est toutefois facultative (vos enfants n’ont pas l’obligation d’invoquer leur réserve), individuelle (chaque enfant décide seul d’introduire cette demande) et ne peut être introduite qu’après votre décès.
Implications fiscales
Sur le plan fiscal, la question se pose de savoir s’il est question ici d’une double donation pour l’application des droits de succession et de donation (on parle de « schenk- en erfbelasting » en Région flamande et de droits de donation et de succession en Région bruxelloise et Région wallonne). La réponse à cette question est négative. La double donation est en effet une simple fiction du droit civil qui n’a aucun impact négatif sur le traitement fiscal de la donation. En l’espèce, aucune donation n’intervient à proprement parler entre votre enfant et vos petits-enfants. Votre enfant ne cède rien. Il s’engage uniquement à rapporter la donation dans votre succession, mais seulement s’il accepte votre succession. Pour la perception des droits de donation, on tient uniquement compte de la réelle donation que vous faites à vos petits-enfants.
En d’autres termes, lorsque l’acte de donation est passé devant un notaire belge, cet acte sera obligatoirement enregistré et les droits de donation de 3 % (Régions flamande et bruxelloise) ou de 3,3 % (Région wallonne) seront immédiatement exigibles sur cette donation. Si, par contre, l’acte de donation est réalisé devant un notaire étranger (par exemple, néerlandais ou suisse), et si vous veniez à décéder dans les 3 ans qui suivent la donation et si la donation n’a pas été enregistrée, vos petits-enfants devront s’acquitter de droits de succession sur les biens donnés.
Conclusion
La technique du rapport pour autrui apporte de nombreux avantages :
- Vous avez la certitude que les biens donnés reviendront à vos petits-enfants, sans que vous ne deviez dépendre du bon vouloir de votre enfant.
- La quotité disponible de votre succession est préservée pour d’éventuelles autres donations ou legs.
- Vous pouvez vous assurer que vos petits-enfants reçoivent la même chose (ou que l’un de vos enfants reçoive autant que les enfants de votre autre enfant)
- Sur le plan fiscal, seule la donation aux petits-enfants est prise en compte. Les droits de donation ne sont donc dus qu'une seule fois.
Une certaine prudence est cependant de mise. Votre enfant peut être tenu de rapporter plus dans votre succession que ce qu'il reçoit finalement de votre part. Si la donation à vos petits-enfants est en effet supérieure à la part que votre enfant peut recueillir dans votre succession, il doit suppléer la différence. C’est pourquoi il est préférable de demander l’aide d’un spécialiste pour ce type de donation.