Réforme du droit successoral
- 11 janvier 2018
- Juridique
En Belgique, le droit successoral1 actuel repose sur des règles qui remontent à 1804 et s’appuient sur le schéma classique de parents mariés avec enfants. Or, depuis cette époque, notre société a considérablement évolué. En effet, de plus en plus de personnes choisissent de mener une relation de vie commune en dehors des liens du mariage et préfèrent opter pour la cohabitation légale ou la cohabitation de fait. Par ailleurs, le nombre de familles recomposées a sensiblement augmenté et nombreuses sont les personnes qui souhaitent bénéficier d’une plus grande liberté dans la répartition de leur succession.
Le législateur belge a donc décidé de réformer en profondeur les règles du droit successoral afin que ces dernières soient plus en phase avec la réalité sociologique familiale du XXIe siècle et les mutations de la société actuelle. Ces nouvelles règles s’appliqueront aux successions qui s’ouvriront après le 1er septembre 2018. Ces règles s’appliqueront également, sauf exception, aux donations et aux testaments conclus ou rédigés avant cette date. Il est toutefois possible de choisir le maintien des règles actuelles pour les donations antérieures, moyennant une « déclaration de maintien » par acte authentique devant un notaire au plus tard le 1er septembre 2019. Il est important de préciser que cette déclaration portera sur toutes les donations que vous avez faites dans le passé.
« Le législateur belge a décidé de réformer en profondeur les règles du droit successoral. »
Nous vous proposons de parcourir ensemble les modifications les plus importantes.
1. Modification des règles relatives à la réserve successorale
Après le décès, les héritiers réservataires ont droit à une part minimale dans la succession dont ils ne peuvent être privés ni par testament ni par donation. C’est ce qu’on appelle la « réserve ». La part de son patrimoine dont une personne peut disposer librement est appelée la « quotité disponible ».
Le nouveau droit successoral maintient la réserve en faveur des descendants (enfants, petits-enfants...). Par contre, ceux-ci disposeront ensemble d’une réserve (globale) correspondant à la moitié de la masse fictive en pleine propriété, et ce, quel que soit le nombre d’enfants que le défunt laisse à son décès2. Les descendants devront se répartir cette réserve entre eux à parts égales. Grâce à ces nouvelles règles, une personne ayant des enfants pourra disposer librement de l’autre moitié de son patrimoine, sans que ses enfants ne puissent invoquer leur réserve. Cette personne pourra léguer, par exemple, cette moitié à ses petits-enfants ou à son partenaire, mais aussi à une tierce personne, à une œuvre de bienfaisance ou même à l’un de ses enfants, sans que quiconque ne puisse s’y opposer.
Pour compenser la limitation de la réserve totale des enfants, la nouvelle loi prévoit que les enfants hériteront de leur quotité successorale, autant que possible, en pleine propriété, c’est-à-dire libre de l’usufruit du conjoint ou du cohabitant légal3. Ainsi, dans l’hypothèse où le conjoint ou le cohabitant légal n’aurait droit qu’à l’usufruit d’une partie de la succession, l’usufruit sera imputé en priorité sur la quotité disponible.
Par ailleurs, la réforme du droit successoral garde intacte la réserve du conjoint survivant. En effet, celui-ci a toujours droit au minimum à l’usufruit4 de la moitié de la succession, et à tout le moins, à l’usufruit de l’habitation familiale5 et de son contenu. La nouvelle loi ajoute que la réserve du conjoint survivant s’étend également au droit au bail sur l’habitation familiale. D’autre part, aucune modification n’a été apportée au statut successoral du cohabitant légal survivant et du cohabitant de fait survivant. Ainsi, le cohabitant légal survivant n’est pas assimilé à un héritier réservataire et le cohabitant de fait survivant n’est pas non plus considéré comme un héritier légal.
« Par ailleurs, la réforme du droit successoral garde intacte la réserve du conjoint survivant. »
En l’absence d’enfants, les ascendants (parents, grands-parents...) conservent leur qualité d’héritier légal, mais perdent, par contre, leur droit à la réserve6. En revanche, ils peuvent prétendre à une créance alimentaire à charge de la succession à concurrence d’un quart au plus de la masse fictive en pleine propriété s’ils se trouvent dans le besoin au moment du décès de leur enfant ou petit-enfant. Cette pension alimentaire pourra être octroyée soit sous la forme d’une rente viagère mensuelle, soit sous la forme d’un capital.
Cette modification législative permettra ainsi aux cohabitants de fait de se faire des donations réciproques et de se désigner mutuellement comme légataires par testament sans devoir tenir compte de l’éventuelle réserve d’un ascendant.
2. Modification des règles relatives à la nature des legs et des donations
Dans le nouveau droit successoral, tous les legs et donations7 réalisés à un descendant (enfants, petits-enfants...) seront présumés avoir été effectués en avance d’hoirie8. Il est toutefois possible de stipuler expressément le contraire, en indiquant que la donation ou le legs9 est effectué par préciput et hors part10.
En revanche, les donations et legs11 réalisés au profit d’un héritier autre qu’un descendant seront présumés avoir été effectués par préciput et hors part (et doivent donc être imputés sur la quotité disponible de la masse fictive), à moins que le donateur ou le testateur n’ait stipulé de manière certaine que la donation ou le legs a été réalisé en avance d’hoirie12. Le législateur présume, en effet, que si une personne réalise une donation à ses parents ou à ses frères et sœurs, elle souhaite implicitement s’écarter des règles ordinaires de la dévolution légale.
« La réforme du droit successoral apporte des changements majeurs. Il ne faut pas en sous-estimer l’impact. »
Actuellement, toute donation en avance d’hoirie peut être convertie en une donation par préciput et hors part. Par contre, une grande partie de la doctrine estimait que l’inverse n’était pas possible. La réforme du droit successoral met un terme à cette controverse. Il sera désormais possible de transformer une donation en avance d’hoirie en une donation par préciput et hors part et inversement. Cependant, cette transformation nécessitera toujours l’accord du donataire. En outre, elle devra être réalisée soit par acte notarié, soit par testament. Dans ce dernier cas, le gratifié devra donner son consentement après le décès du donateur.
Il est également nécessaire de préciser que les donations au profit d’un conjoint ou d’un cohabitant légal ne pourront se faire, à partir du 1er septembre 2018, que par préciput et hors part (et devront toujours être imputées sur la quotité disponible de la masse fictive).
3. Modification des règles relatives au rapport et à la réduction des donations et des legs
La réforme du droit successoral apporte également des modifications relatives aux règles du rapport et de la réduction des donations et des legs. Rapporter un bien à la succession signifie que l’on remet fictivement, pour le partage de la succession du défunt, les biens dont il avait disposé à titre gratuit en avance d’hoirie afin de rétablir l’égalité entre les héritiers. Si une donation est réalisée en avance d’hoirie, le donataire est de fait tenu de rapporter la donation à l’ouverture de la succession du donateur de manière à ce qu’on puisse tenir compte de cette donation pour procéder au partage de la succession. Par ailleurs, si une personne porte atteinte à la réserve d’un héritier réservataire en réalisant une donation ou un legs, cet héritier lésé peut exiger que la donation soit réduite de manière à ce qu’il puisse faire valoir son droit à la réserve.
« Le nouveau droit successoral offre une flexibilité supplémentaire pour le règlement de votre succession. »
Dans le régime actuel, la règle est que le rapport des donations immobilières a lieu en nature. Cela implique que le donataire doit rapporter physiquement l’immeuble dans la succession du donateur. Par contre, le rapport des donations mobilières a lieu, quant à lui, en moins prenant, ce qui signifie que la valeur du bien donné au jour de la donation vient s’imputer sur la part successorale revenant au donataire. Désormais, tant l’apport que la réduction auront lieu, en principe, en valeur. Le donataire pourra ainsi, en principe, conserver le bien donné, mais il devra imputer la valeur de ce bien sur sa part successorale. Toutefois, si le donataire en fait la demande, la réduction et le rapport13 pourront se faire en nature.
En outre, toutes les donations, quelle que soit leur nature, seront évaluées de la même manière pour le rapport ou la réduction, c’est-à-dire en fonction de leur valeur intrinsèque au moment de la donation14, valeur qui est indexée jusqu’au décès. Par valeur « intrinsèque », il faut comprendre la valeur qu’avait le bien à la date de la donation, en tenant compte de ses caractéristiques propres au jour de la donation15. Si la donation est grevée d’une rente ou d’une autre charge, il faut prendre en compte la valeur nette du bien donné - après déduction de la charge. En outre, la valeur est indexée16 à partir du moment de la donation jusqu’au moment du décès du donateur - selon l’indice des prix à la consommation du mois du décès du donateur, avec comme indice de base celui du mois de la donation. L’indexation devrait permettre d’éviter des distorsions de valeur entre des donations effectuées à différentes périodes.
En cas de donation avec réserve d’usufruit17, la valeur prise en compte pour le rapport et la réduction sera la valeur du bien à la date du décès du donateur ou - en cas de renonciation à l’usufruit du vivant du donateur - la valeur du bien à la date de renonciation, valeur qui sera indexée à partir de cette date jusqu’à la date du décès. Il est donc important de garder cet élément à l’esprit si vous avez donné, par le passé, les actions de votre entreprise familiale avec réserve d’usufruit. Jusqu’à présent, la valeur des actions données était figée au moment de la donation (sans indexation). Désormais, en cas de donation avec réserve d’usufruit, les actions données seront valorisées au moment de votre décès18. Il en résulte que l’enfant qui aura reçu les actions devra partager, avec ses frères et sœurs, la plus-value qu’il aurait générée grâce à son implication au sein de l’entreprise entre le moment de la donation et le moment de votre décès. Si vous souhaitez que les anciennes règles restent applicables, vous devrez réaliser une « déclaration de maintien » devant notaire afin que les anciennes règles restent en vigueur (voir ci-dessus) ou conclure, avec tous vos enfants, à partir du 1er septembre 2018, un pacte successoral (voir ci-dessous) pour figer la valeur du bien donné au jour de la donation.
Le rapport et la réduction des legs dépendront de la valeur intrinsèque du bien légué le jour de l’ouverture de la succession.
4. Assouplissement de l’interdiction des pactes sur successions futures
Aujourd’hui, les pactes portant sur la répartition d’une succession (future) sont, en principe, interdits. La nouvelle loi assouplit cette interdiction et vous offre la possibilité de conclure, de votre vivant, des arrangements avec vos enfants.
Il faut toutefois préciser qu’il ne sera pas possible d’accepter, de manière anticipée, une succession dans un pacte sur succession future ou de conclure un accord sur la répartition des biens d’une personne à son décès. En effet, l’acceptation d’une succession ne peut toujours pas être réalisée du vivant d’une personne.
La réforme du droit successoral prévoit désormais l’existence de deux types de pactes successoraux : les « pactes successoraux globaux » et les « pactes successoraux ponctuels ».
Le pacte successoral global vise à établir un équilibre19 entre tous vos enfants20 par rapport aux donations antérieures et aux avantages21 que vous avez consentis à vos enfants. En signant ce pacte familial, vos enfants ne pourront contester l’équilibre constaté dans ce pacte, et ce, même si le pacte porte atteinte à la réserve d’un des enfants.
« Nous nous félicitons de cette réforme du droit successoral. »
À côté du pacte successoral global, la réforme du droit successoral autorise la conclusion de différents types de pactes successoraux ponctuels, portant notamment, sur les modalités d’une donation ou sur l’exercice des droits réservataires des héritiers à l’égard d’une donation. Il sera, par exemple, possible pour un enfant de renoncer à son action en réduction à l’égard d’une donation qui aurait été réalisée à l’égard d’une autre personne et porterait atteinte à sa réserve. De même, les héritiers pourront également conclure, un pacte successoral ponctuel portant sur la valorisation d’une donation, de manière à ce que cette valeur ne puisse plus être remise en cause au moment de l’ouverture de votre succession.
Il faut toutefois souligner que la conclusion d’un pacte successoral doit respecter un formalisme strict sous peine de nullité absolue permettant ainsi à toute personne intéressée (y compris l’Administration fiscale) de réclamer la nullité du pacte. Votre notaire jouera donc un rôle essentiel dans le cadre de la rédaction de ce pacte successoral22.
Conclusion
Nous nous félicitons de cette réforme du droit successoral. Elle a en effet pour vertu de donner plus de liberté à chacun pour disposer de sa succession en fonction de ses souhaits et besoins spécifiques. Elle apporte, en outre, des changements majeurs dont il ne faut pas sous-estimer l’impact. En matière de donations par exemple, les nouvelles règles peuvent entraîner d’autres conséquences que celles qui avaient été envisagées au moment où la donation a été réalisée. La personne qui a, par le passé, déjà réalisé des donations en faveur de ses enfants n’a toutefois pas à s’inquiéter si chaque enfant a reçu la même chose.
L’évaluation de ces modifications nécessite dès lors une réflexion personnelle, avant le 1er septembre 2018. Suite à cette évaluation, vous pourrez décider s’il est opportun ou non de rédiger un pacte successoral à partir de cette date.
Notes de bas de page
1 Le droit successoral comprend l’ensemble des règles civiles qui régissent les modalités de répartition de la succession d’un défunt. Le droit successoral relève toujours de la compétence du pouvoir fédéral et s’applique à l’ensemble du territoire belge. La matière des droits de succession, à savoir l’impôt qui est dû à l’occasion du décès d’une personne, relève, quant à elle, de la compétence des Régions. 2 C’est-à-dire les biens légués au moment du décès, diminués des dettes de la succession et majorés de toutes les donations (indexées, le cas échéant) faites du vivant du légateur. 3 En l’absence de dispositions contraires, le conjoint survivant hérite de l’usufruit sur l’ensemble de la succession. Le cohabitant légal survivant hérite, pour sa part, de l’usufruit sur l’habitation familiale et les meubles meublants. Le cohabitant de fait survivant ne dispose, quant à lui, d’aucun droit successoral légal.
4 La réforme prévoit, en outre, que le conjoint survivant ne peut faire valoir sa réserve sur les donations que son défunt époux/sa défunte épouse a réalisées avant son mariage. Il ne pourra donc faire valoir sa réserve que sur les biens qui ont fait l’objet d’une donation pendant le mariage. Pour éviter des conflits entre le conjoint survivant et les enfants d’une relation antérieure par rapport à l’exercice de son usufruit successoral, la loi prévoit une conversion simplifiée et extrajudiciaire de l’usufruit du beau-parent survivant. Sauf si les nus-propriétaires et le beau-parent survivant en conviennent autrement, l’usufruit de ce dernier est converti en une part indivise de la succession en pleine propriété.
5 Le bien immobilier qui servait de résidence principale à la famille au moment de l’ouverture de la succession.
6 Dans le droit successoral actuel, si vous ne laissez pas d’enfants, mais un de vos parents ou vos deux parents et des frères et sœurs, chaque parent a droit à une part réservataire à concurrence de 1/4 de la masse fictive en pleine propriété. Si vous ne laissez ni enfants, ni frères et sœurs, les lignes paternelle et maternelle ont droit chacune à une réserve de 1/4 de la masse fictive en pleine propriété (qui revient alors à la personne du degré le plus proche du défunt).
7 Ces nouvelles règles valent également lorsque des descendants sont désignés comme bénéficiaires d’une assurance-vie.
8 Une donation faite en avance d’hoirie signifie qu’elle constitue une avance sur la part successorale qui reviendrait au donataire dans la succession du donateur.
9 La désignation du bénéficiaire de l’assurance-vie pourra aussi être réalisée par préciput et hors part.
10 Une donation par préciput et hors part (ou avec dispense de rapport) doit être imputée, lors d’un décès, sur la quotité disponible de la succession du défunt. 11 De même que les désignations bénéficiaires d’une assurance-vie.
12 Ou dans le cadre d’une prestation d’assurance-vie, si le rapport a été expressément imposé par le preneur d’assurance.
13 Pour autant que ce bien lui appartienne toujours et qu’il soit libre de toute charge ou occupation dont il n’était pas encore grevé au moment de la donation.
14 Les efforts déployés par le donataire pour augmenter la valeur du bien après la donation et le risque de perte de valeur restent donc, respectivement, en faveur ou au détriment du donataire.
15 Même si celles-ci n’étaient pas connues des parties lors de la donation.
16 On ne tient pas compte des fruits que le bien donné a produits entre le jour de la donation et celui du décès ni de l’avantage que le donataire a retiré de la jouissance du bien au cours de cette période.
17 Et tous les autres cas où le donataire n’a pas le droit de disposer de la pleine propriété du bien donné à partir du jour de la donation.
18 Si votre enfant n’acquiert la pleine propriété qu’après votre décès, la valorisation intervient à la date de votre décès, diminuée de la valeur des charges qui empêchent l’exercice du droit de disposer de la pleine propriété.
19 Cela ne signifie pas que tous les héritiers doivent recevoir mathématiquement la même chose. En effet, un équilibre subjectif est atteint si aucun héritier ne se sent lésé et si tous les héritiers marquent leur accord sur cet équilibre.
20 Peu importe que les donations aient été réalisées en avance d’hoirie ou par préciput et hors part.
21 Ces avantages peuvent être le paiement de frais d’études à l’étranger ou encore le paiement des loyers d’un appartement.
22 Tout pacte successoral doit être réalisé par acte notarié. Le notaire doit remettre, à chaque partie, le projet de pacte successoral au moins 15 jours avant une première réunion introductive, au cours de laquelle il explique le contenu et les conséquences du pacte à toutes les parties. À cette occasion, il doit informer expressément toutes les parties de leur droit du libre choix de leur propre avocat ou notaire. Ensuite, une période d’attente d’au moins un mois doit être respectée avant de pouvoir signer effectivement le pacte successoral. Après sa signature, tout pacte successoral devra être enregistré dans le Registre central des testaments.