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Hausse des tarifs douaniers : menace ou réalité
- 20 février 2025
Un mois après son investiture, Donald Trump a déjà pris un ensemble de mesures en matière de politique migratoire, énergétique, fiscale, mais aussi commerciale. Le 1er février dernier, le président américain a annoncé ses premières mesures tarifaires. Depuis, les négociations et menaces de contre-mesures vont bon train. Autant d’incertitudes qui risquent de peser sur l’économie mondiale, outre les droits de douane en tant que tels.
Tarifs douaniers : comment cela fonctionne ?
Les tarifs douaniers, ou taxes sur les importations, sont en général facturés en pourcentage du prix que l’acheteur (ou entreprise importatrice) paie sur les marchandises importées. Même si l’entreprise importatrice paie effectivement les droits de douane à l’administration fiscale, ceux-ci peuvent être potentiellement assumés par les différentes parties, à savoir l’entreprise exportatrice (qui diminue ses prix de vente pour rester compétitive), l’entreprise importatrice (qui n’augmente pas son prix de vente en conséquence) et le client final. Mais d’après différentes études, le coût de la taxe est dans la plupart des cas majoritairement à charge du consommateur final.
Les taux des droits de douane américains dépendent des types de biens et de leur pays de provenance. Des accords commerciaux permettent toutefois de réduire ces droits de douane, tel l’ACEUM, un accord de libre-échange conclu entre le Canada, les États-Unis et le Mexique en juillet 2020. Cet accord permet de faciliter les échanges entre ces trois pays et de garantir des conditions de travail décentes.
Premières annonces : menaces réelles ou leviers de négociation ?
Mais depuis ce 1er février, la donne a changé et risque de changer encore dans les mois à venir. En effet, Trump a déjà annoncé une surtaxe de 10 % sur les importations chinoises, une taxe de 25 % sur les importations mexicaines et canadiennes – dont l’application est reportée au 1er avril – ainsi qu’une surtaxe généralisée de 25 % sur les importations d’acier et d’aluminium dès le 12 mars.
Pour rendre l’Amérique « great again », D. Trump entend booster l’investissement et l’industrie manufacturière. Un des piliers de sa campagne reposait sur la réduction du déficit commercial et la protection de l’emploi américain, notamment au travers de droits de douane. À cet égard, précisons toutefois que les droits de douane moyens américains – non pondérés – se situent autour de 2 % en moyenne contre plus de 4 % au niveau mondial. Ils sont aussi inférieurs à ceux qui sont appliqués en moyenne sur les exportations américaines (6 % environ).
Tarif moyen sur les importations américaines
En %
- Prévisions
Source : United States International Trade Commission
Mais outre ces objectifs économiques, D. Trump souhaite également avancer sur d’autres dossiers, telle la limitation de l’immigration illégale et du trafic de fentanyl, un puissant opiacé. Les taxes douanières semblent donc aussi être un moyen efficace pour le président américain d’obtenir gain de cause en la matière. Et de fait, tant la présidente du Mexique, C. Sheinbaum que le 1er ministre canadien, J. Trudeau, ont d’emblée assuré qu’ils allaient renforcer les contrôles à leurs frontières pour endiguer les flux migratoires et le trafic de drogues vers les États-Unis.
Si l’Union européenne n’a pas encore à ce jour fait l’objet des foudres de D. Trump de manière ciblée, elle est bien aussi dans son collimateur. Le président lui reproche en effet de profiter des États-Unis. « Ils ne prennent ni nos voitures, ni nos produits agricoles, quasiment rien et nous prenons tout (…). Je n’ai pas de calendrier mais c’est pour très bientôt », a-t-il précisé. Là aussi, la menace de droits de douane pourrait faire pression sur les Européens afin qu’ils achètent davantage de pétrole et de gaz américains, entre autres. Les exportations européennes vers les États-Unis représentent 3,1 % du PIB de la zone euro. Des droits de douane de l’ordre de 10 % entraîneraient une baisse du PIB européen de l’ordre de 0,1 % à 0,2 % par an. C’est à la fois peu et beaucoup pour une région au bord de la récession.
Les partenaires commerciaux des États-Unis dans le viseur
La guerre commerciale initiée en 2018 entre les États-Unis et la Chine a fait bouger les lignes du commercial mondial. Le volume d’échange entre les États-Unis (autrement dit la somme des exportations et des importations américaines) et l’Europe a légèrement augmenté, tandis qu’il a sensiblement baissé avec la Chine, au profit du Mexique, entre autres.
Volume d'échange entre les États-Unis et leurs principaux partenaires commerciaux
En %
- Europe
- Chine
- Canada
- Mexique
Source : The United States Census Bureau
Alors que les États-Unis ont réduit leurs importations en provenance de la Chine, celle-ci a diversifié ses exportations vers des pays émergents à forte croissance et vers des pays développés où la demande de produits chinois a également augmenté. Elle a également pris soin d’acheminer ses marchandises vers les États-Unis via d’autres pays, tels le Mexique et le Vietnam. Cependant, pas moins de 35 % des importations américaines proviennent actuellement de la Chine, du Mexique et du Canada qui sont à ce titre frappés par la première salve tarifaire de D. Trump.
Importations de biens et de services des États-Unis par pays de provenance
En % des importations totales
Source : Bureau of Economic Analysis
10 % supplémentaires pour la Chine ?
Lors de sa campagne présidentielle, D. Trump a émis diverses éventualités, dont des droits de douane allant jusqu’à 60 %. À ce jour, il s’est contenté d’annoncer 10 % de droits de douane additionnels (les importations chinoises étant déjà soumises à un taux moyen pondéré de 10 % de droits de douane environ).
Diverses analyses relativisent l’impact de droits de douane supplémentaires sur la croissance chinoise. La stratégie industrielle de la Chine – assurer des prix compétitifs dans l’approvisionnement, le traitement et la production de biens dans les secteurs de croissance – est assez redoutable. La Chine maîtrise entièrement les chaînes d’approvisionnement de véhicules électriques, de batteries et d’énergies renouvelables, entre autres. Autre arme efficace : le pays produit 60 % des terres rares à l’échelle mondiale et en transforme 90 %, ce qui lui confère un quasi-monopole.
Sur le plan de la technologie, la Chine s’active aussi à soutenir l’innovation pour renforcer sa position, assurer son autonomie, voire devenir le leader mondial comme l’ambitionne son président, Xi Jinping. Bien que l’Occident garde une longueur d’avance en matière d’IA ou de semi-conducteurs par exemple, le protectionnisme américain pourrait booster davantage la détermination chinoise à développer elle-même des technologies de pointe. Deep Seek en est un bel exemple : ce nouveau modèle chinois d’IA serait tout aussi performant que les modèles américains, tout en consommant moins d’énergie.
25 % de droits de douane pour le Mexique et le Canada ?
Les enjeux sont importants de part et d’autre, car les importations en provenance du Mexique et du Canada pèsent pour plus de 20 % dans les importations américaines et elles représentent aussi plus de 20 % du PIB du Canada et du Mexique. D’après certaines études, des tarifs douaniers de l’ordre de 25 % pourraient engendrer une récession dans ces deux pays.
Le Mexique figure parmi les pays bénéficiaires de la guerre commerciale entamée en 2018, aux côtés du Vietnam et de l’Inde, entre autres. Ces pays ont vu leurs exportations croître à destination des États-Unis, même si une partie de ce phénomène est imputable au réacheminement des marchandises chinoises. Il est aussi un sérieux concurrent pour l’industrie américaine, car le coût de la main d’œuvre manufacturière y est 10 fois moins élevé qu’aux États-Unis. De nombreux constructeurs automobiles (en ce compris américains) y ont massivement installé leurs usines pour ensuite exporter les biens fabriqués vers les États-Unis.
Localisation de l'assemblage des véhicules commercialisés aux États-Unis
En %, en 2024
- États-Unis
- Canada/Mexique
- Reste du monde
Source : Barclays
Le Canada affiche, quant à lui, un niveau des prix assez proche de celui des États-Unis. Des droits de douane pourraient donc sérieusement nuire à la compétitivité des importations canadiennes. Vu les grandes quantités de gaz et pétrole canadiens importés par les États-Unis, D. Trump a toutefois pris soin de leur appliquer des droits de douane moindres (10 %).
25 % de droits de douane sur l’acier et l’aluminium pour tous les pays ?
Les États-Unis importent près d’un quart de l’acier et la moitié de l’aluminium qu’ils consomment. Ces matériaux, qui sont principalement utilisés dans l’industrie automobile, l’aéronautique et la construction, proviennent de divers pays, tels le Mexique, le Canada, la Chine ou l’Europe. Une manière de viser « tous les pays, sans exception ni exemption », affirme D. Trump.
Lors de son 1er mandat, il avait déjà imposé 25 % de droits de douane sur l’acier et 10 % sur l’aluminium. La plupart de ces mesures avaient ensuite été levées ou modifiées sous la présidence de Biden, sous la forme de quotas. Ceux-ci seraient donc tout bonnement supprimés.
L’incertitude, l’ennemi de l’économie et des marchés financiers
Comme en 2018 lors de l’escalade des tensions commerciales, les marchés financiers sont en proie à la volatilité en raison de ce jeu de ping-pong tarifaire, source d’incertitudes. Par ailleurs, le président américain est connu pour son imprévisibilité... Même si l’incertitude est un facteur baissier pour les marchés d’actions, leur réaction ces dernières semaines est toutefois assez modérée. Ils ont intégré depuis un petit temps déjà les menaces de Trump (qui en a fait un sujet de sa campagne) et perçoivent, à ce stade, ses annonces plutôt comme un levier de négociation.
L’incertitude politique et commerciale actuelle pourrait également peser sur la croissance économique à l’échelle mondiale. Dans le chef des entreprises, l’éventualité de tarifs douaniers complique notamment leurs décisions en termes d’investissement, d’approvisionnement, d’exportation et de localisation de leurs infrastructures. Les constructeurs automobiles retiennent particulièrement leur souffle selon qu’ils réalisent une partie importante de leurs ventes aux États-Unis et/ou disposent d’usines dans les pays visés par les tarifs de Trump. Les mesures de rétorsion – tarifaires et non tarifaires – sont également source d’incertitude, telles les enquêtes antitrust lancées par la Chine à l’encontre de certaines entreprises américaines technologiques. /p>
Les craintes d’inflation actuelles sont réelles et expliquent le ton plus ferme adopté récemment par la Réserve fédérale américaine (Fed) susceptible de ralentir son cycle de baisse des taux en fonction de l’évolution de l’inflation américaine. Le dollar américain s’est entre-temps apprécié, en raison du probable renforcement de politique monétaire de la Fed. Un dollar plus fort risque non seulement de nuire à l’investissement et aux exportations américaines, mais aussi de favoriser les importations étrangères en devises locales rendues ainsi plus compétitives. Mais au fait, l'objectif des droits de douane n'était-il pas de réduire le déficit commercial ?
Conclusion
Les annonces de Trump sont-elles avant tout des menaces pour obtenir des concessions de ses partenaires ? Quels tarifs pèseront effectivement sur quels pays, quels secteurs et pour combien de temps ? Quid des contre-mesures des pays ciblés ? À ce stade, il règne encore beaucoup d’incertitudes qui suffisent à elles seules à freiner l’économie. Le mot « tariff » est-il vraiment « le plus beau mot du dictionnaire » comme l’a affirmé fièrement D. Trump ? Pas sûr que les acteurs économiques à l’échelle mondiale soient du même avis. Suite au prochain… tweet.