La santé et la croissance d’une entreprise familiale reposent sur trois principes clés : l’esprit entrepreneurial, une gestion professionnelle et une famille unie.

La bonne gouvernance veille à ce que l’entreprise familiale maintienne une orientation et une stratégie uniques et bien définies, qu’elle respecte un ensemble de valeurs claires et des règles précises.

Ces règles (re-)lient les différentes parties prenantes de l’entreprise (actionnaires, administrateurs, management) et la famille. Alors que, dans les entreprises classiques (non familiales), la gouvernance d’entreprise (ou corporate governance) se concentre sur la relation entre les actionnaires et le conseil d’administration, dans une entreprise familiale, la gouvernance de la famille doit également être prise en compte. Les structures et les processus de la « gouvernance familiale » doivent, d’une part, définir les relations de la famille avec l’entreprise familiale et, d’autre part, protéger l’unité au sein de la famille.

Pour y parvenir et anticiper les éventuels conflits, il convient de conclure un certain nombre d’accords entre les parties prenantes et de les inclure dans différents documents de gouvernance : les statuts, le pacte d’actionnaires et la charte familiale.

1. Les statuts

Lorsqu'un entrepreneur (familial) souhaite créer une société, il est tenu de rédiger des statuts. Ceux-ci constituent la base de toute société et fixent les droits et obligations des parties.

Le code des Sociétés et des Associations (CSA) prévoit un certain nombre d’aspects à inclure obligatoirement dans les statuts, comme par exemple :

  • Les données d’identification de l’entreprise (forme juridique, nom, siège social) ; 
  • L’objet social de la société (l’activité) ;
  • La durée de l’entreprise ;
  • Les données relatives aux actifs de départ, aux actions et aux parts bénéficiaires ;
  • La composition et le fonctionnement de l’organe de direction et de l’assemblée générale ;
  • La représentation de l’entreprise ;
  • Les modalités de dissolution et de liquidation de la société.

Les statuts d’une SA, d’une SRL ou d’une SC doivent être établis par acte notarié lors de la constitution de la société. Pour les sociétés à responsabilité illimitée telles que la SNC, la SComm ou la société simple, cette démarche peut également être effectuée sous seing privé.

Les dispositions des statuts sont en principe contraignantes tant pour la société que pour tous les associés actuels et futurs. Ce document est fourni à titre d'information générale et ne peut être considéré comme un avis juridique.

Les statuts (à l'exception de ceux de la société simple) sont accessibles au public puisqu’un extrait doit être publié au Moniteur belge, où sont consignées de nombreuses dispositions statutaires. La modification des statuts est soumise aux mêmes exigences de publicité et nécessite une décision de l'assemblée générale de la société.

Depuis l'entrée en vigueur du nouveau CSA (le 1er mai 2019), il existe une plus grande liberté pour s'écarter des règles standards prévues dans les statuts. De nombreuses règles anciennement obligatoires sont désormais simplement « optionnelles », ce qui crée une plus grande marge de manoeuvre pour la personnalisation des statuts. Citons par exemple la possibilité de retrait/d’exclusion d'un associé, la libre cession des actions, les droits de vote doubles ou multiples, le rachat d'actions propres, les accords statutaires (supplémentaires) sur la valorisation des actions, etc.

2. Le pacte d’actionnaires

Un pacte d'actionnaires est une convention privée entre (certains et/ou tous) les actionnaires et éventuellement la société, dans laquelle il est possible de déterminer librement qui est la partie concernée. Il peut toujours être modifié avec l’accord de toutes les parties, sous seing privé.

Compte tenu de la souplesse et de la liberté contractuelle avec lesquelles on peut établir un pacte d’actionnaires, certains arrangements complexes ou délicats, ou qui ne s’appliquent qu’au bénéfice d’un nombre limité d’associés, seront inclus dans le pacte d’actionnaires plutôt que dans les statuts de la société.

Le pacte d’actionnaires n’étant soumis à aucune obligation de publicité, il est par conséquent beaucoup plus discret que les statuts qui, eux, sont publics. La confidentialité accrue est donc la principale raison de consigner des accords dans un pacte d’actionnaires plutôt que dans les statuts.

Néanmoins, il est conseillé d’assurer la meilleure cohérence possible entre les statuts et le pacte d’actionnaires. En effet, les dispositions statutaires sont toujours opposables aux tiers, tandis que les pactes d'actionnaires sont soumis aux principes de responsabilité de droit commun du code civil. En principe, le pacte d’actionnaires n’engage donc que les parties concernées et non les tiers. Même si la société signe le pacte d'actionnaires, cela n’implique pas qu’elle (et ses organes) soit liée par les restrictions à la cession de parts ou par un vote, dans la mesure où ces accords ne figurent pas dans les statuts. D’où la recommandation de vérifier pour chaque accord dans quelle mesure il doit figurer dans les statuts et/ou le pacte d’actionnaires. Les sujets suivants sont souvent abordés dans un pacte d’actionnaires :

2.1 Restrictions à la cession de parts

Dans les entreprises familiales, il est en principe convenu que les actions de l’entreprise ne sont pas cessibles librement. Les restrictions à la cession permettent de déterminer à qui les actions peuvent être cédées, à quel moment et dans quelles conditions.

Les clauses suivantes peuvent être appliquées :

  • Clause moratoire : engagement de tous les actionnaires, à la suite de la signature d’un pacte d’actionnaires, de ne pas céder leurs actions pendant une période déterminée.
  • Droit d’agrément : si un actionnaire souhaite céder ses actions à un tiers, cette cession doit être approuvée au préalable par les autres actionnaires. Cette clause implique le droit pour les autres actionnaires d’approuver tout nouvel actionnaire. À cet égard, il est conseillé d’inclure également cette clause dans les statuts afin que les acheteurs potentiels en connaissent l’existence. Ces clauses peuvent être étayées par les réponses aux questions suivantes : ce droit s’applique-t-il toujours (y compris en cas de décès) ou seulement en cas de cession à des tiers ? Qui sont les tiers (s'agit-il également de la belle-famille) ? Est-il possible de céder des actions à des descendants ou à des sociétés (de management) contrôlées ? L'approbation doitelle être donnée à une certaine majorité ou à l'unanimité ? Que se passe-t-il à défaut d’approbation ? Y a-t-il obligation de rachat par d'autres actionnaires et, dans l'affirmative, à quelles conditions (prix, délai de paiement, etc.) ?
  • Droit de préemption : si un actionnaire souhaite se retirer (totalement ou partiellement) de la société, il doit d'abord proposer ses actions aux autres actionnaires avant de pouvoir les proposer à un troisième acheteur potentiel. Les questions importantes sont les suivantes : à quel prix les actionnaires restants peuvent-ils acheter ces actions ? Ce prix est-il déjà déterminé à l'avance par une méthode d'évaluation bien précise ? Quel est le délai accordé pour prendre la décision (par exemple, 6 mois maximum pour l'ensemble du processus) ? Est-il obligatoire de préempter toutes les actions ou est-il possible de le faire partiellement ?
  • Droit de suite : si un actionnaire (majoritaire) souhaite céder ses actions à un acheteur potentiel, un actionnaire (minoritaire) a le droit de vendre ses actions simultanément. De cette manière, un actionnaire (minoritaire) est protégé contre l'entrée d'un actionnaire (majoritaire) (non désiré). Il est préférable de prévoir cette possibilité également dans les statuts afin de garantir l'opposabilité aux tiers.
  • Obligation de suite : si un actionnaire (majoritaire) souhaite céder ses actions à un acheteur potentiel, il peut également obliger les autres actionnaires (minoritaires) à céder leurs actions aux mêmes conditions et modalités. Cette disposition favorise les cessions, car un acheteur potentiel est souvent intéressé par l’acquisition de l’ensemble des actions. Il convient dès lors de se poser les questions importantes suivantes : quand cette disposition peut-elle entrer en vigueur ? Seulement lorsque le droit de préemption n'a pas été exercé ? Un prix minimum estil prévu ? La personne soumise à cette obligation de suite a-t-elle encore son mot à dire sur les modalités de la vente (obligatoire), telles que les conditions de paiement, les clauses du contrat de vente, etc. ?
  • Droit d’option : droit pour un actionnaire (ou un tiers) d'acheter des actions à un autre actionnaire (option d'achat, « call ») ou de les vendre (option de vente, « put ») à un certain prix pendant une certaine période, à tout moment ou lorsque survient un événement déterminé (par exemple un décès, une incapacité de travail, une faute grave ou un dol). Questions importantes : le droit d'option est-il transférable ? Une prime est-elle payée ? Quel est le prix d'exercice (prix fixe par action ou formule de calcul) ?
  • « Good leaver » et « bad leaver » : ces dispositions décrivent les situations dans lesquelles un actionnaire peut se retirer sans pénalité, par exemple lorsqu'il atteint l'âge légal de la retraite ou est absent pendant une longue période pour cause de maladie (good leaver), ou peut être exclu contre le paiement d'un prix de reprise inférieur, par exemple en cas de mauvaise gestion ou de fraude de la part d'un associé (bad leaver).

2.2 Pouvoir au sein de l'entreprise

La manière dont l'entreprise est gérée et contrôlée est également détaillée dans le pacte d'actionnaires, entre autres :

  • La composition et le fonctionnement de l'assemblée générale : certaines décisions nécessitent des majorités spécifiques. Le CSA contient déjà certaines dispositions exigeant une majorité spéciale pour protéger les intérêts des actionnaires minoritaires, mais les parties peuvent également décider entre eux de les renforcer et de les inscrire dans le pacte d'actionnaires. Il est également possible de prévoir des catégories d'actions qui nécessitent, pour certaines décisions seulement, la représentation de toutes les catégories.
  • La composition et le fonctionnement du conseil d'administration : les actionnaires, par l'intermédiaire de l’assemblée générale, sont autorisés à nommer les administrateurs. Dans le pacte d'actionnaires, d'autres dispositions peuvent être prises à cet égard, telles que :
    • Le nombre d’administrateurs et les personnes qui peuvent les nommer
    • La procédure de nomination/de révocation
    • Les compétences requises
    • Le rôle et la nomination du président
    • La nomination ou non d’administrateurs externes
    • Le droits de vote au sein du conseil d’administration et les majorités spéciales
    • La rémunération et l’évaluation des administrateurs
  • La composition et le fonctionnement du conseil d'administration : le (top) management et l'administrateur délégué (ou le CEO s'il n'est pas administrateur) sont nommés par le conseil d'administration sur la base des accords conclus précédemment en ce qui concerne :
    • Les compétences requises
    • La question de savoir si le (top) management doit appartenir à la famille
    • La rémunération et l’évaluation
    • Leurs compétences et responsabilités

2.3 Prévention ou règlement des litiges

Par ailleurs, les pactes d'actionnaires prévoient souvent des dispositions relatives à la prévention ou à la résolution des conflits. Par exemple, il est possible de prévoir un délai de réflexion obligatoire ou l'intervention d'un comité consultatif, d'un médiateur, d'une personne disposant d'une voix prépondérante, etc.

Dans le contexte de la fixation du prix, il est aussi conseillé de prévoir des méthodes d'évaluation bien définies en cas de cession (obligatoire) d'actions, afin de prévenir palabres et conflits éventuels.

Cette catégorie peut également comprendre une procédure de sortie qui régit les mesures à prendre lorsqu'un ou plusieurs actionnaires souhaitent se retirer de la société.

2.4 Non-concurrence et confidentialité

Enfin, des clauses de confidentialité et de non-concurrence peuvent être utilisées pour empêcher un actionnaire, pendant et/ou après sa participation au capital, de faire concurrence à l'entreprise. Pour les actionnaires, ceci n'est pas réglementé par la loi. Il est donc recommandé de le prévoir a minima dans un pacte d'actionnaires. Toutefois, une telle disposition devrait être limitée dans le temps et dans l'espace et ne s'appliquer qu'aux activités exercées par la société.

3. La charte familiale

Alors que les statuts et le pacte d'actionnaires s'appliquent à toutes les entreprises, la charte familiale inscrit dans le marbre les accords familiaux à l'origine même de l'entreprise. Elle énonce les droits et les obligations de la famille, ses convictions fondamentales et les attentes des uns envers les autres et envers l'entreprise familiale. Étant donné que les intérêts individuels ou familiaux peuvent parfois entrer en conflit avec les besoins de l'entreprise familiale, il est également important d’anticiper les éventuels conflits futurs dans la charte familiale. L'établissement de ces règles de base assure une plus grande unité au sein de la famille et facilite la communication, la planification, la confiance et la résolution des conflits.

Le Code Buysse III (lignes directrices sur la bonne gouvernance pour les entreprises non cotées en bourse) conseille aux entreprises familiales de prévoir une charte familiale et un forum familial. Les lignes directrices couvrent les aspects suivants :

    1. Les valeurs familiales et la vision de propriétaire : les membres de la famille s’unissent autour de certaines valeurs qui guident leurs comportements individuels et leurs relations envers les autres. La vision de propriétaire définit, quant à elle, l'orientation que ce dernier souhaite donner à l'entreprise.
    2.  La propriété de l'entreprise familiale : les dispositions relatives à la cession (également incluses dans le pacte d'actionnaires), à savoir qui a la possibilité et l’autorisation de détenir des actions, comment la propriété peut être transférée, qu'en est-il des droits de vote, etc.
    3. Les objectifs financiers de la famille : les accords concernant les attentes et les objectifs de la famille concernant la croissance de l'entreprise familiale, la politique de dividendes et/ou les autres avantages financiers, le risque qui peut être pris, les dispositions relatives à la négociabilité/liquidité des actions.
    4. La carrière des membres de la famille dans l'entreprise familiale : accords sur les personnes autorisées à travailler dans l'entreprise familiale (quotas, expérience, compétences requises), possibilité ou non pour la belle-famille de jouer un rôle actif, méthode d'évaluation, mesures à prendre en cas de licenciement ou d'incapacité de travail.
    5. La rémunération des membres de la famille qui travaillent dans l’entreprise : dispositions sur la mesure dans laquelle le salaire doit être conforme au marché (par rapport aux tiers) et si, par exemple, il doit y avoir un lien entre la rémunération obtenue par les membres de la famille pour leur travail et les dividendes qu'ils perçoivent.
    6. La gouvernance de l'entreprise familiale : accords à propos des membres du conseil d'administration, du nombre d'administrateurs externes, des exigences en matière de qualification, etc. (généralement repris aussi dans le pacte d'actionnaires).
    7. La gouvernance familiale : un forum de consultation formel pour la famille (conseil de famille/forum), qui peut en faire partie, ses compétences, le rôle de son président, le mode de réunion, le pouvoir de décision, etc.
    8. La gestion de l'entreprise familiale : l'organisation et les conditions pour faire partie du top management en tant que membre de la famille.
    9. Le rôle des non-membres de la famille dans l'entreprise familiale : la possibilité d'occuper des postes de direction ou d'acquérir des actions ou non. Que se passe-t-il si un membre de la famille et un non-membre de la famille aspirent tous deux au même poste ? La famille a-t-elle alors priorité ?
    10. La communication : les accords concernant la manière de communiquer : quand, à qui et comment les objectifs, les attentes et les réalisations sont discutés au sein de la famille.
    11. La gestion des conflits : la manière dont la famille souhaite gérer les conflits et le recours ou non à la médiation.
    12. La formation des membres de la famille : pour aider la jeune génération à devenir de futurs actionnaires responsables, la charte peut prévoir que les jeunes s’engagent et se forment à partir d’un certaine âge.
    13. La philanthropie : dans quelle mesure la famille souhaite-t-elle prendre des initiatives en matière de philanthropie et à hauteur de quel montant ? Qui d'autre prend en charge l'organisation de cet aspect et comment cela est-il communiqué (en interne) ?
    14. Les modifications de la charte : la procédure et les votes à la majorité requis pour modifier la charte de la famille.

En outre, il est également conseillé de prévoir des accords concernant l'utilisation des biens de l'entreprise par les membres de la famille. En effet, l'utilisation d'une carte carburant ou l'occupation gratuite d'un bien immobilier par exemple peuvent donner lieu à des conflits s'il n'existe pas d'accord clair à ce sujet.

Le processus d'élaboration de la charte est presque aussi important que son contenu. Il s'agit d'un processus au cours duquel la famille se réunit, discute et analyse les sujets susmentionnés dans le but de mettre tout le monde d'accord. Il n'y a pas de modèle préétabli et la rédaction d'une charte relève d’une démarche personnalisée, en fonction de la phase de croissance de l'entreprise, de la taille de la famille, du nombre d'actionnaires, de la culture d'entreprise, des relations entre les membres de la famille, etc.

Comme une famille (ou une entreprise) grandit et évolue constamment, une charte familiale ne doit pas non plus être statique. Elle doit être adaptée aux attentes et aux besoins actuels de la famille.

Contrairement aux statuts et aux pactes d'actionnaires, une charte familiale n'est pas juridiquement contraignante en soi. Néanmoins, son impact ne doit pas être sous-estimé et, en pratique, elle engendre un engagement moral. Même en cas de procès, les dispositions d'une charte peuvent être appliquées et avoir un certain poids.